Le christ de Gaston Floquet
Le christ de Gaston Floquet est une uvre de 1999. Mais les morceaux qui
le composent, puisqu'il s'agit d'un grand collage de pièces éparses,
sont des brous, au dos desquels des indications précises sur leur place
dans l'anatomie du crucifié, qui datent des années soixante-dix,
principalement sans doute de cette année 1972 qui a vu l'artiste en produire
une grande quantité.
Vingt-sept années entre l'idée et sa réalisation donc.
Cela suffirait à en considérer le caractère exceptionnel,
mais celui-ci ne serait alors qu'anecdotique.
La figure christique a accompagné Gaston Floquet toute sa vie, et de
différentes manières.
Lecteur assidu des textes sacrés - la Bible présente en français,
allemand, ou latin à une place de choix dans sa bibliothèque,
dans laquelle il pouvait puiser dans une langue ou dans l'autre pour appuyer
telle argumentation -, l'artiste a, semble-t-il été absolument
fasciné par le personnage de Jésus et par les représentations
que l'art en a produit.
En témoignent de nombreuses reproductions de la statuaire et de la peinture
de toutes les époques, du Moyen-âge à nos jours, et particulièrement
les figurations romanes ou celle, emblématique pour lui, du retable d'Issenheim
de Mathias Grünewald, que ses cartons renferment.
Mais encore et surtout, quelques dessins, dont cette tête de Christ de
1953, ces crucifix de métal sur croix de bois de la fin des années
50 ou des années 60, dont la facture, toute parente qu'elle soit à
première vue, est autre que celle des uvres qu'il produit alors,
ou quelques écrits, dont cette scène de théâtre qui
met en scène un certain Jésus de Nazareth, interrogé par
des soldats français qui, se croyant moqués, n'y entendent plus
rien.
Aussi est-il particulièrement intéressant de s'interroger sur l'évolution de cette figure dans son uvre pour tenter de comprendre comment l'artiste l'appréhende. D'autant qu'il disait de son christ de 99 qu'il était un christ sans majuscule parce qu'un homme comme les autres, ou un écorché.
écorché, image de l'homme dans sa réalité dépouillée
de sa peau qui la dissimule ; mise à nu de la réalité même.
Image de tourment : permanence des témoignages photographiques, présents
eux aussi dans les cartons de l'artiste, des guerres passées, celles
de 14-18 (si importante dans son uvre, nourrie de ce qu'il glanait de
reliefs, enfant et adolescent, sur ses terrains de jeux, non loin de Verdun)
et celles de 39-45 (qu'il a vécue en Allemagne, prisonnier), des charniers
qui l'angoissaient. Image cruelle, réaliste, terrible au sens fort, semblable
à celle des Christ de Grünewald. Mais aussi, certainement souvenir
ancien du Transi du tombeau de René de Chalon, prince d'Orange, en l'église
Saint Pierre de Bar-le-Duc, sa ville natale. Image étrange, ambiguë,
d'un mort debout, décharné, ayant cueilli son propre cur
dans sa poitrine, pour l'offrir au ciel. L'écorché de Gaston Floquet
a cette ambiguïté : l'horrible réalité est magnifiée
par le mouvement même, un sorte de tranquillité généreuse.
christ, image de l'homme parmi les hommes. La croix a disparu, elle n'en est
pourtant pas moins présente, fantôme lointain, qui laisse place
unique au geste d'offrande et à celui de l'accueil sans doute. Ce christ-ci
fait penser aux Christ des tympans du Moyen-âge et aux Vierge de Miséricorde
dont le large manteau ouvert offre refuge
L'image du supplicié
est, mais elle est transfigurée par celle de celui qui offre et donne,
s'offre et se donne tout entier, tel qu'en lui-même, chair signe, essentielle.
Image du Mystère sacré.
A mettre en relation avec les dernières uvres de l'artiste et leur
dépouillement.
Jean-François Hémery
22 avril 2008