Tribune libre
Gérard LANGE


       Aujourd’hui, j’ai envie d’écrire sur les sculptures de Gaston. Comme ça, histoire d’entretenir les liens et la discussion entre Gaston et ses amis ; oui, comme ça, mais comment ? Ecrire un petit mot sur un registre de vernissage, c’est souvent problématique ; un article, n’est-ce pas encore plus compliqué ?

       Et si j’écrivais à la façon « critique d’art » sérieux ? Cela pourrait donner à peu près ceci : « … la trajectoire de Gaston FLOQUET, on le remarquera, marie le sens de l’ellipse avec une certaine dérision, s’avère symbolique de notre vie technologique avec ses métamorphoses et ses cassures issues de germinations mécaniques. Et pourtant, Gaston FLOQUET ne souhaite pas se résoudre aux tensions nées des lois du hasard. C’est pourquoi il agence une suite de proportions vibratiles, il convoque la géométrie pour mieux ajuster ses explosions fugaces et fulgurantes. Cet amalgame stabilité/dynamisme obture quelque peu la fécondation d’une écriture pourtant sans ambivalence. Mais cette apparente contrainte lui permet au contraire de mieux déjouer l’équilibre, de ne pas rester captif de cette lumière fragile. Dans des combinatoires extrêmement subtiles et diaphanes, il accroît un ordre, que dis-je, un écheveau architectonique à la fois ténu et tenace. Ainsi, la matrice engendrée par une discipline complexe permet au spectateur d’être in,quiet sans drame, fasciné qu’il est par la juxtaposition de la souplesse et de la robustesse, du creux et du plein, de la tonicité et de l’atonie, de la profondeur et de la superficialité.
Vraiment, ces réseaux métalliques où règne l’harmonie des différentes formes spatiales n’occulte en rien, évidemment, la charge émotionnelle dont est parcourue l’œuvre frémissante et foisonnante de Gaston FLOQUET. »


       Bien sûr, cette forme d’écriture est tentante : avec elle, on ne souffre plus aucune discussion tant on est écrasé par les référents, on s’affranchit de toute émotion (trop dangereux !) et en fin de compte, on se dispense surtout de parler des œuvres.

       Et si j’écrivais à ma façon, en libérant tous mes affects ? En définitive, pour bien évoquer les sculptures de Gaston, il est nécessaire, je pense, de faire ce qu’il fait quand il crée : oublier sa culture pour la réinvestir en émotions vraies. Qu’est-ce qui me plaît vraiment quand je regarde une sculpture de Gaston ? La confrontation – qu’elle soit agréable ou non, avec le plaisir d’être obligé d’y faire face. Car si certains pensent qu’un bon artiste est d’abord celui qui n’obéit à personne, je pense, moi, que les meilleurs artistes, et Gaston est de ceux-là, sont ceux qui savent créer la tension. Tapiès a écrit : « Si la peinture d’aujourd’hui ne faisait pas trembler ou, tout du moins, ne dérangeait pas beaucoup de gens, cela signifierait que nous avons échoué ». Car les sculptures de Gaston s’avèrent beaucoup plus dérangeantes que l’on ne pense, et c’est pourquoi elles fascinent. Tension entre le figuratif et l’abstrait, tout d’abord ; on aime reconnaître ici un homme, là un oiseau. Mais cet homme, cet oiseau, offre une représentation tenue comme non-normale par le sens commun, une représentation que l’on ne connaissait pas. Dans l’acte de chercher un bras et une jambe, ou de trouver une dent de faucheuse ou un cric de voiture, il y a d’abord la volonté de se rassurer. Mais rien n’y fait. Gaston veut bien figurer, mais pas illustrer. Et il nous laisse là, tendus entre notre joie de reconnaître et notre inquiétude de ne pas connaître.

       Tension aussi entre une technique à la fois rigoureuse et fortuite. Que dois-je admirer ? L’ingéniosité de Gaston ? Ou l’évidence de la nature qui a su procurer au créateur une besogne quasiment faite ? Monique AUDUREAU a bien raison quand elle parle de mystère. Car, quand bien même Gaston fabriquerait en direct, devant tous, la zone obscure ne disparaîtrait pas. Il y aura toujours cette curieuse alchimie créatrice du hasard et de la nécessité.

       Tension encore entre l’un et le multiple ; je me surprends à rire ou à sourire face à une sculpture de Gaston ; mais si mon regard embrasse la multitude entassée dans sa grange ou dans ses expositions, mon sourire se fige car il me semble que toutes les créatures ainsi rassemblées forment une cohorte inquiétante. Et ne sommes-nous pas ainsi faits ? Un individu attendrissant parfois, plein d’humanité, vivant au sein d’une cohorte que le XX ème siècle s’ouvrant avec la première guerre mondiale (si prégnante dans la vie de Gaston) saura rendre terrifiante et cruelle.

       Car, pour conclure, je voudrais affirmer à quel point, selon moi, Gaston n’est ni un original ni un fantaisiste. Gaston est un sculpteur tendu, tendu vers cette humanité, si riche, si attirante, mais aussi si complexe et si dure.

Les cahiers du Tertre

janvier 1998

©Les amis de Gaston Floquet