Gaston-le-Passeur

Gaston aura exercé principalement trois professions pour le gîte et le couvert : correcteur en imprimerie, traducteur et comédien. Au reste il était et dessinateur et peintre et collagiste et sculpteur. On comprend assez facilement que ces quatre dernières activités fonctionnassent ensemble. Mais les trois premières ? et ces trois-là avec ces quatre-ci ?
Rien de plus simple pourtant si l’on veut bien considérer que chacune est en fait celle d’un passeur. On tourne autour de cette idée depuis pas mal de temps déjà, on ne peut plus l’éviter.
Artiste, il fait venir au jour ce qui était dans l’ombre, il donne à voir ce qui est qu’on ne voit pas. Ainsi il extériorise son monde intérieur, ainsi il nous apprend à voir autrement ce qui est sous nos yeux, ainsi il donne à l’ombre ce qui est en lumière ; démiurge, il produit, y compris dans l’accidentel, et quand il n’est pas exactement le concepteur, il est l’accoucheur. Son travail a tout de la maïeutique.
Traducteur, il est d’évidence celui qui fait passer. Qui, filtre sensible, entend produire dans une autre langue ce qu’une première a sué. Floquet effectivement traduit de l’allemand en français (1).
Correcteur, pareillement. Il est celui par qui l’intelligence du texte est complète puisque assainie. Celui qui peut s’amuser aussi sur le marbre de la table de composition avec les encres épaisses et odorantes, glissant de ce qui paie à ce qui invente.
Comédien ? - « La question qu’on doit se poser en abordant ce métier est : suis-je vraiment doué pour cela ? Qu’est-ce que je peux apporter aux gens ? Il ne s’agit pas de savoir ce qu’on veut faire ou ce qu’on rêve d’être, mais si on en est capable, s’il y a une adéquation entre son désir et ses possibilités réelles.
Pour jouer, il faut posséder la force de conviction. Car l’acteur n’a qu’une seule loi : convaincre. Même s’il fait appel à tout son affect, à toute son expérience, cela ne suffira pas s’il ne donne pas une crédibilité à son personnage. Et il n’y a que lui qui puisse la trouver.
Je ne crois pas à la pédagogie. Ce qu’on peut transmettre de mieux, à part quelques bases techniques, c’est le désir de faire ce métier. Mais le pouvoir de convaincre le public, un acteur ne le découvre en lui que par lui-même ».
« Je me considère comme un pourvoyeur de textes. C’est une part importante de ma vie d’homme de théâtre d’aller chercher des textes neufs, des auteurs inconnus ou mal connus, pour leur donner vie sur scène. (…) Le travail de traduction et d’adaptation que nous faisions avec Pascale (…) fournissait un exercice préparatoire passionnant à la mise en scène et à la direction d’acteur. Dans la traduction, il s’agit moins de trouver des équivalences dans la langue française que de restituer – enfin, d’essayer – ce qui fait l’originalité de l’auteur dans sa propre langue. (…) Barthes disait que tout texte est un « intertexte », nourri de ce qui l’a précédé ; il contient des textes antérieurs, d’autres auteurs. Le travailler, c’est explorer ce gisement secret… » Qui parle ainsi ? Floquet ? non pas, mais Laurent Terzieff (2), avec qui notre Gaston joua et enregistra. Il associe naturellement, le travail du comédien, du metteur en scène et du traducteur, du découvreur et du révélateur. Il m’a semblé que Gaston aurait pu le raisonner ainsi aussi.

Figure héroïque, à la fois Caron (3), Christophe (4), Julien (5) peut-être, peut-être même Lucifer (6), il conduit, guide et sauve, et donne à l’homme, aux hommes ce qu’ils ne savaient pas qu’ils cherchaient.
Les dernières et surprenantes œuvres témoignent sans doute d’une expérience des limites, et du passage d’une rive à l’autre. D’une certaine manière liquides, elles cristallisent pourtant l’idée du passage (7).
La figure tranquille du grand christ est image symbolique de cela (8), de cette complexité et de ces complicités-là (il est l’écorché – avec ce que ce mot peut évoquer d’un retour tardif aux premiers émois esthétiques de l’enfant de Bar-le-Duc devant le transi de René de Chalon, au moment où il ne sait pas encore qu’il sera lui aussi artiste), comme l’idée, qui fut celle de Gaston d’abord !, de réaliser des vitraux d’après des « graphées » de Gaston (9).
J.-F. H.

[1] Il a traduit notamment Walser, Nietzsche, Jaspers, Haftmann, Regler, Remarque…

[1] Voir Seul avec tous, collection « Chemin faisant », Presses de la Renaissance, 2010, pp. 61, 73-74…

[1] Ou Charon, le nocher des Enfers dans la mythologie gréco-latine.

[1] Le saint passeur, celui qu’on invoque pour bonne route faire.

[1] Celui de la Légende récrite par Gustave Flaubert.

[1] Le Porteur de lumière. Prométhée ? Vulcain ? Il est celui qui a à voir avec la foudre. A cet égard voir l’article de Monique Audureau « La Walkyrie » dans à suivre.

[1] Voir à suivre : « Leçons de ténèbres », « Les fins premières ».

[1] Voir à suivre et le dossier christ…

[1]Voir l’aventure vitrail, telle qu’elle est racontée dans Que la lumière soit !