Commentaire proposé par
l'Association des Amis de Gaston Floquet
aux Amis des Musées d'Alençon
lors de l'exposition " Figures de Traverse " de janvier 2005
La Walkyrie
D'abord la regarder
Hauteur. 2, 79 m (l'une des deux ou trois plus hautes de GF).
Formes. Rondeurs en volute en bas, pointes vers le haut, dents partout.
Trois jambes droites dans l'espace des volutes la tiennent debout.
Matériau. Fer de récupération : scie (à bois), lames (de faucheuse),
fourches, serpe à débroussailler " demi-lune ", faucille, siège de faucheuse,
fer à cheval, cerceau de tonneau, etc. Des objets agricoles, donc.
Technique. Assemblage par soudure. Structure verticale.
Style. Figuratif ou non ? Statue à la fois anthropomorphe puisque dressée,
et abstraite parce que ne ressemblant à rien.
Date. 1999 : la dernière de Floquet, qui avait 82 ans.
Gaston Floquet l'a appelée " la Walkyrie ".
Il utilisait beaucoup le dictionnaire. Faisons de même.
Walkyrie N f pl. Mythologie scandinave.
Nom donné aux messagères d'Odin. Les définitions sont tirées du " Nouveau Larousse
Illustré, |
On retiendra : |
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On retiendra : |
Gaston
n'a certes pas appelé sa statue " la Walkyrie " par hasard, et la légende
scandinave reprise dans la mythologie germanique, il la connaissait évidemment.
Le nom qu'il donnait parfois à ses œuvres lui venait tout naturellement à la fin, quand leur apparence définitive, qui, disait-il, le surprenait souvent lui-même, apparaissait tout à fait. On pense à la Bible, où Dieu nomme les êtres et les choses par lui créés pour achever sa création. C'est aussi pourquoi le nom donné à une création de Gaston fait partie de l'œuvre et en est inséparable. |
On comprend donc qu'il ait vite trouvé
comment s'appelait cette statue-là : les Walkyries marchent dans les combats
en tête des guerriers - guerrières elle-mêmes donc. Elles sont couvertes
d'armes. Fourches, dents de scie, lames de faucheuse, serpes… sont en quelque
sorte les armes du paysan. Des armes elles ont l'aspect agressif, dangereux
et sont faites pour mordre, pour piquer, pour couper. Pas pour tuer cependant.
C'est une guerre, mais une guerre décalée, la guerre revue par l'art, transfigurée,
métaphorique.
Cela
dit, la guerre que Gaston Floquet a connue deux fois a été bien réelle (il est
né en 1917 près de Verdun, et fut prisonnier pendant la guerre de 40). Sa région,
la Lorraine, en fut profondément marquée, et lui aussi. La figuration de ce
drame traverse toute son œuvre, comme un exorcisme qui permettait de dire et
de contempler l'indicible. (Ne fut-il pas aussi, en traduisant l'allemand en
français, passeur d'une langue à l'autre et réconciliateur, dépassant de ce
fait par le travail de l'esprit ce qui avait été de son vivant un antagonisme
historique meurtrier ? Autre façon - pacifique - de régler son compte à la guerre
?)
Le dictionnaire nous dit en tout cas que la beauté de la Walkyrie est surhumaine. Gaston a fait cette statue après qu'ait été acceptée la donation au musée des Beaux Arts et de la Dentelle d'Alençon, où elle est désormais abritée. |
Il ne pouvait non plus bien sûr ignorer que, devenu vieux, la Walkyrie le désignait comme celui qui doit mourir. |
Et puis, maintenant, pour nous qui la contemplons, elle est vivante par-delà sa mort, cette oeuvre qui nous parle encore. N'aurait-il finalement concédé que l'avant-dernier mot à son ennemie ? |
Un jour, je lui ai apporté pour cela un carton de 2 m sur 3 environ, que nous avons étalé sur le sol de l'atelier à l'étage. Et comme il n'avait pas envie de se baisser, j'ai collé ce qu'il me disait de coller, où il me disait de le coller. Il a fallu en fait réinventer complètement le personnage, de la tête aux pieds (dans cet ordre), oubliant les indication au dos des petits cartons. |
Etonnamment,
trois présages, comme dans les légendes de maintes mythologies du monde,
ont réellement et puissamment marqué la naissance de ce christ et de la
Walkyrie, presque contemporains. D'abord l'orage, dont le dictionnaire nous dit qu'il accompagnait les Walkyries, avec sa boule de feu, claquant comme un coup de fusil pareil à ceux de la guerre que Gaston avait connue. "L'esprit du fer voulait me dire quelque chose", disait-il, malade mais rigolard. Que lui disait "l'esprit du fer", sinon que sa Walkyrie se dressait comme un paratonnerre, avec sa fourche à double pointe, et que le démiurge lançait là un ultime et dangereux défi au feu du ciel ? |
Mais si je regarde mon journal, je m'aperçois aussi d'autre chose. Il lui a fallu exactement trois jours pour se remettre. Il avait déjà accompli ce genre d'exploit lors de sa première attaque de leucémie, mais en deux jours ! "Jésus-Christ battu", disait-il, épuisé, avec une ironie intacte, impertinente, une auto-dérision féroce, dont il s'excusait tout de même, soucieux de ne choquer personne. Majuscule ou minuscule, le divin écorché lui traçait donc lui aussi la voie. Sa mort même en fut le signe. |
Faite de choses ramassées par terre, jetées par des agriculteurs dans quelque décharge *, humble, et orgueilleuse à la fois, elle vient donc de terre et s'élève, mais ce n'est pas un arbre. Ce n'est pas une chose naturelle, c'est une œuvre d'art. Un homme est intervenu là, entre sol et ciel, offrant d'elle une image, faisant d'elle une icône, mais s'éloignant de toute ressemblance. Cette œuvre a une épaisseur, un mystère. Elle est habitée. Elle renvoie à de grands mythes universels et d'étranges hasards particuliers, tout en étant unique au monde.
Et puis pour Gaston, elle a marqué une étape essentielle. Celle-là, il a voulu la faire pour la donner, alors que tout le reste de la donation aura comporté un arrachement. Cette statue représente un consentement à se séparer finalement des choses créées par lui au cours de toute sa vie. Se séparer de sa vie donc, et pour la première fois accepter de franchir la limite, de suivre la Walkyrie dans le voyage vers le Walhalla, où, le connaissant, on l'imagine buvant enfin à sa soif, c'est-à-dire éternellement, l'hydromel des braves.
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* cousine… germaine de la Faucheuse, figure allégorique elle
aussi, et elle aussi armée d'un outil agricole
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Monique Audureau
©Les amis de Gaston Floquet