Gaston par lui-même

 

"C'est (...) un autre qui peint, ce n'est pas moi.
Je ne suis moi-même qu'un appareil récepteur extrêmement sensible.
"
( Kurt Schwitters à Helma. Lyasker, 3 XII 1939 ).

 

"Je ne comprends pas bien qui, par mon intermédiaire, peint, modèle, écrit, compose et qui me donne des ordres. Mais souvent je m'étonne moi-même, dans mon travail, du fait qu'à en croire les apparences, je me décide à donner tel ou tel coup de pinceau. Si j'essaye pendant mon travail de m'expliquer le pourquoi, je ne suis plus capable de l'accomplir. Mais après je puis en parfaite objectivité discerner pourquoi l'autre Kurt Schwitters a donné ce coup de pinceau."
( A Helma Schwitters. Lyasker,3 XII 1939 ).

 

Tu te poses les mêmes questions que moi. Merci Kurt.
J'ai toujours considéré avec la plus farouche circonspection et fui comme la peste noire les collèges, lycées, sorbonnes, facultés, casernes, champs d'honneur et de bataille...
Pendant que les futures élites écoutaient religieusement les vieilles sirènes entonnant les programmes, je me fabriquais ma propre culture qui en vaut bien une autre (sans me vanter) avec des livres que j'allais lire sur les fortifications de Monsieur le marquis de Vauban en cette illustre cité de Verdun, peuplée de généraux, maréchaux et même de simples troufions en bronze et pierre de taille.

 

Elève brillant du collège jusqu'au jour où je cessai de mériter le tableau d'honneur et reçus une admonestation professorale pour mon esprit de fronde et d'insoumission; flanqué à la porte, je fus tranféré dans une autre boîte qui fleurait la caserne, d'où je ne tardai pas bien sûr à m'évader.
J'ai quitté définitivement les fortifs à Vauban avec leurs pariétaires, épinards de muraille.

"Où avez-vous trouvé ces vilaines herbes, Floquet ?" me demandait un jour le prof de sciences nat.

"Chez monsieur Vauban, monsieur, dans ses fortifs."
... Le temps se déroule
... le temps se déroule.


J'ai passé ces années jusqu'ici sans trop de dommage, feignant d'ignorer ce qui me contraignait, obéissant, le plus qu'il était en mon pouvoir, à mes " voix intérieures".

Je refais à ma manière la création. Non que je la trouve mauvaise ! Simplement histoire de voir ce que vous en penserez au cours des siècles, et aussi ce que vous en direz. Surtout ne vous gênez pas. Je dois pourtant vous avouer que je goûte peu les critiques d'art à binocle et à moumoute.

Je me suis donc débrouillé avec mes simples moyens. "Du passé faisons table rase", dirait l'autre. Mais non, pas tout à fait ! J'ai pactisé avec les enfants, les petits, les moyens; je m'en suis bien trouvé. Mieux qu'avec les adultes. Essayez, vous verrez. Regardez-les travailler, ils vous enseigneront beaucoup de choses tout en croyant que c'est vous le bon maître. Ca console et ça rassure. Et puis il y a quand même le monde, la nature, ceux qui nous ont précédés que l'on comprend mieux parcequ'ils sont morts. Et puis il fallait bien céder de temps en temps, lâcher du lest, le moins possible, ça ne tarderait pas quand même à se voir comme le nez au milieu de la figure.

Revenons aux enfants des écoles. Je m'efforce, moi aussi, de redevenir comme eux, c'est dur et c'est long. Laissons faire le temps, comme dirait le père Corneille.
En attendant, j'ai trouvé refuge, pour les siècles à venir, avec mes bagages, au musée d'Alençon.

Amen !

Gaston FLOQUET, Janvier 2000.


Préface du catalogue de l'exposition organisée par le Musée des Beaux Arts et de la Dentelle, à l'occasion de la donation à la communauté urbaine d'Alençon.