Sur la moue du Gaston

[les photos identitaires du sieur Gaston]

 

1932

1933

1934


1935

1936

1947

1962

1965

1994

 

 

Les photos d'identité figent, on le sait, on l'admet, mieux on le conçoit, elles ont toujours quelque chose d'emprunté. Pourtant ne fixent-elles pas à un moment donné ce qu'il en est d'une personne ? au moins d'une personne telle qu'elle entend se donner à voir ? ou telle qu'elle se surprend malgré elle, parfois en dehors même des intentions qu'elle a de vouloir dire ce qu'elle est ?...


On pourrait écrire des pages et des pages sur ce que sont les photos d'identité, et parler de ce qu'elles sont non pas une manière de présenter l'individu dans son naturel, mais une façon de l'identifier tel qu'en les autres, et à présent sans signe distinctif si l'on veut bien suivre les consignes qui sont données pour les prendre aujourd'hui.


En était-il avant différemment ? On peut le croire puisque consigne est donnée aujourd'hui. Croyons-le. Et jouons de l'espace paradoxal qui nous est offert.


Ainsi donc Gaston serait tel qu'il voudrait être…


Remarquons… plus que ses yeux, plus que sa chevelure qui suit, sans doute après la mode et ce que la jeunesse permet de tignasse léonine, les aléas de la raréfaction…, remarquons la bouche du Gaston, le pincement de ses lèvres. Sur les huit photos identitaires ici présentées - la neuvième n'étant jamais qu'extraite d'une photo d'un autre genre, frontale mais de source amicale, pas officielle, comme les deuxième et troisième -, seule la première sourit ; seule la première montre, sous une coiffure d'un soin fantaisiste, l'esquisse d'un sourire. A quinze ans, Gaston entrait dans la vie avec aux lèvres quelque chose d'un sourire. A seize, l'ombre du large béret était accusée par celle de la moustache : l'adolescent avait-il acquis alors quelque sombre conscience ? Un an plus tard, remplumé, et même quelque peu joufflu apparemment, il porte chef moins large, dont la pesanteur est gauche désormais (dans les années soixante dix, la casquette pèsera à nouveau à droite, mais sans étude). A dix-sept et dix-huit ans, quelque chose d'un orgueil de bon ton. A trente ans, après la guerre et les années passées en Allemagne, le visage est plus sévère : il est celui d'un qui est revenu, d'un qui a vécu et va vivre désormais libre puisque libéré des contraintes bourgeoises de ses origines autant que celles de la captivité… De ce sérieux-là, Gaston ne se départira jamais. Correcteur, traducteur, comédien, peintre, sculpteur ou gribouilleur, écrivant, il gardera ses lèvres toujours un peu infléchies inférieurement à leurs commissures, non point boudeuses ni froides, mais graves, comme sévères, nourries de réflexion et d'une certaine sagesse. Certes, Gaston souriait et riait, certains d'entre nous veulent d'ailleurs ne plus se rappeler que de ces moments d'apparente insouciance (ceux qui insistent sur l'humour des œuvres, méconnaissant souvent leur essentielle ambigüité), mais au vrai, il gardait toujours une distance, conduite par la conscience qu'il prenait aux choses et aux êtres, et à cela qui s'appelle créer.

 



1973, lors de l'installation au Tertre-Haut
(photo Michel Carrade)


1994,
à la Charmille


1997
au Mont-Saint-Michel


1998
au Tertre Haut

1999
au Tertre-Haut

 

Il y aurait aussi à écrire sur les mains sur les hanches ou dans les poches… La photo de la classe de chimie, celle de l'installation à Saint-Rigomer-des-Bois, celle de tel ou tel vernissage dans les années 90, ou encore celle de ruelle où on le voit, en robe de chambre, sortant de certains affres, provoquent : il faudra qu'un de ces jours quelqu'un en parle enfin. Car Gaston n'était pas qu'une moue.

J.-F. H.