Echo


Jef,

       J'ai relu ton beau texte. Et toc, ça n'a pas loupé, l'envie d'y répondre ou plutôt d'y faire écho m'est venue, d'une voix distincte de la tienne, chacune ayant son identité propre.

       Pour l'écho d'abord : j'aime bien qu'on sache dire qu'on n'y avait vu que du feu un certain temps. Et laisser entendre que cela aurait pu en rester là. Quel espoir là-dedans ! Le monde nous attend en silence, espérant qu'on le découvre, celui de Floquet comme le reste. Infini.

       Alors, une fois de plus, plongeons.
Le malaise que ces toiles grises soulevait était évidemment bien ambigu. Il y avait le gris, couleur souvent magnifique, y compris dans d'autres peintures chez Floquet. Ceci pour la séduction. Mais pour l'horreur, il y avait le mélange du noir et du blanc, de la mort et de l'absence, de la mort pour le noir et du blanc pour l'absence. Ce blanc des toiles restées vierges (encore que…).

       Mais maintenant.
Maintenant que le voile est un peu levé en quelque sorte par l'attention portée à ces toiles de fin de vie, je regarde (en-dedans). Il m'avait montré comment il avait obtenu ces effets de coulures, de délavé, de traces. Et je revois le geste. Voilà ce que ce geste me dit maintenant, repensé en perspective. Son œil n'y voyait plus grand chose, en effet et son corps s'en allait. " Je sens des vents coulis ", me disait-il, content de sa contrepèterie. Il sentait sa vie " s'écoulant " et il posait naturellement sur la toile cette couleur liquide. Un abandon : le pinceau ne joue plus, la maîtrise, il y renonce.
Enfin, un peu…

       Car en fait, il ruse. Comme il a toujours rusé. Jamais il n'a voulu avoir la maîtrise totale de rien. Toujours probablement, l'imminence, proche plus ou moins, de l'abandon total, de la dérive finale l'a accompagné. Et magnifique le consentement rusé à cette faiblesse inéluctable, qui vous accompagne bien avant le moment final, tout le temps en fait.

       Voilà, il laissait faire - un peu - ce qu'il appelait le hasard. Mais là, maintenant, ce que l'œil ne pouvait plus guère voir (encore que…), ce que la main ne pouvait plus diriger au pinceau, le mouvement de tout le buste le faisait. Il dansait avec la coulure, inclinant la toile d'un côté puis de l'autre, lentement pour qu'elle imprègne le tissu, bien entendu étonné du résultat, mais bien entendu pas si étonné que ça, car encore maître sinon de tout, du moins du choix d'accompagner l'écoulement en lui donnant un sens.

       Au point d'avoir signé (après l'avoir d'abord tout simplement fait pivoter) cet avatar de plus, construit mais aléatoire, d'une faiblesse transfigurée, tout en béances, en toile d'araignée, donnant incidemment par la place de son nom en bas du tableau une lecture renversée de la pesanteur. Et voilà la dégoulinure qui s'élève par magie ou qui file comme le vent!

       Peut-être est-ce là une piste pour chercher une cohérence à la diversité déconcertante des explorations floquetiennes : contrôle et consentement, trompe-l'œil évidents, que pourtant on regarde sans voir, pendant que l'artiste rigole en douce, avare de ses secrets de fabrication qui sont autant de pièges, de leurres, de tours de passe-passe, d'effets d'optique.

       Car le peintre, l'assembleur, le collagiste ne cessait à aucun moment d'être comédien, c'est-à-dire de donner à voir une illusion projetée par son corps sur un espace rectangulaire à l'intention de gens venus exprès pour se faire raconter des histoires.

       Ce qui, en revanche, demeure troublant et sans réponse est le dialogue qu'il menait avec lui-même, comédien sans public, seul dans le noir avec ses fantômes fabriqués et ses vrais fantômes (car il y a évidemment de vrais fantômes). Il faudra y repenser, peut-être pour y puiser quelque chose qui accompagne mon propre noir sans espérer le dissiper.

       Pour l'instant, contemplons l'image de celui qui était encore Maître Floquet, comme nous tous handicapé de la vie et mieux que la plupart capable de représenter sur une surface blanche avec une élégance infirme le mystère de l'abandon maîtrisé.

Monique, le 5 janvier 2006


©Les amis de Gaston Floquet